Massif de Mischabel et du Weissmies- 24 juin 2020 – Arête SE en traversée
Dénivelé positif : 2882m (approche 1288m / sommet 1251m)
Refuge : Almagellerhütte 2894m
Accès depuis Saas Almagell
Première ascension : 1855
Cotation : PD (I/II) Course en traversée très variée
LA MONTEE AU REFUGE
La montée au refuge depuis Saas Almagell a été une découverte minérale, un parterre argenté par la présence de mica dans le schiste comme me l’a fait remarquer Fred -qui a fait des études de géologie avant de devenir guide-. Je me suis transformée en petite pie, attirée par ce minéral brillant que je voulais emporter avec moi. J’ai ramassé des dizaines de pierres. L’une remplaçait l’autre. J’étais dans un magasin de pierres précieuses et devais choisir celle que j’allais ramener. Je voulais pouvoir, une fois rentrée à Bruxelles, mettre ma main sur cette pierre et en sentir toutes les aspérités sous mes doigts comme une petite madeleine ou une photo qui vous fait vous souvenir non pas de ce que vous avez vu mais senti.
Le soleil se jetait sur ce rocher qui ne tardait pas à briller. Le refuge Almageller a utilisé ces pierres plates pour en faire des tables que l’on a investies pour boire une bière rafraîchissante et faire sécher toutes les affaires de mon sac, ma poche à eau ayant fui à la montée. Je n’étais pas encore totalement dans le rythme de notre course mais sentais déjà un bien-être indescriptible. Pouvoir aller d’un sommet à l’autre avec pour seule contrainte la météo et la faisabilité de la course.
LE WEISSMIES
Le Weissmies n’est pas connu comme étant un sommet difficile mais très esthétique et il ne me décevra pas. Choisir de le faire en traversée d’un refuge à un autre a augmenté l’intérêt de la course. Cette dernière est plus variée avec la montée vers le col Zwisdhbergenpass puis au sommet sur un tapis de neige parfaite, agréable à cramponner et une redescente par le champ de Séracs, sculptures de glace gigantesques où j’ai laissé ma main les caresser comme pour mieux les faire miennes. Mais là-haut le vent soufflait fort et a ramené sur les hauteurs des nuages en quelques minutes seulement, nous isolant du reste du monde. Les nuages avaient décidé de jouer avec nous, nous montrant furtivement quelques bribes du trésor que nous étions venus chercher durement.
QUE VIENT-ON CHERCHER AU SOMMET ?
Une bonne occasion de se demander ce que nous allons chercher là-haut ? Y-a-t-il une joie particulière liée à ce « haut lieu » ? Recevons-nous au sommet une poudre enchanteresse envoyée par les Dieux de la montagne qui nous accueilleraient comme Saint Pierre au Paradis ? Est-ce simplement le moment de la contemplation d’une création qui nous rappelle que nous n’en sommes pas au centre mais juste un tout petit élément quasiment inexistant, le sommet nous remettant à notre place dans l’ordre du monde. Ou alors, est-ce que, comme dans le taoïsme ou les voies de pèlerinage, la destination importe moins que le chemin ? La métamorphose de l’être et de son âme s’opère-t-elle dans chaque pas, comme ces fleurs qui poussent sans qu’on s’en aperçoive.
En alpinisme, nous marchons pour atteindre un point précis et non pour aller le plus loin possible ; notre esprit est concentré sur cet objectif lui donnant un statut particulier, un aboutissement, un ultime pas avant la redescente. Il nous tient en haleine et nous pousse à nous dépasser.
J’ai personnellement toujours une grande joie à arriver au sommet qui marque l’accomplissement de quelque chose. Les alpinistes ont l’habitude de se saluer, de se féliciter, de se taper dans la main ou de se photographier devant la croix ou la vierge – qui chapote nombre des sommets des Alpes – montrant le plaisir partagé mais aussi la gratitude envers son compagnon de cordée.
J’ai appris avec les années à me méfier de cette euphorie après laquelle j’éprouvais un passage difficile au moment de redescendre. J’ai essayé au fil du temps de considérer ces arrivées comme des passages subtiles dont je veux garder une trace indélébile mais qui ne sont qu’un maillon dans l’enchaînement d’une course réussie. J’ai appris également à imaginer que le sommet n’est pas ce point le plus haut sur le topo que j’ai étudié mais plutôt un point imaginaire qui se situerait encore un peu plus haut et qui me fait « arriver à la croix » comme une plume sur un sol dur.
Mais pour être honnête, je cherche encore à mettre des mots sur ce que je ressens et sur ce qui me pousse à aller là-haut. Évidemment, je me sens vivre. Je me sens forte. La montagne élargit le champ de mes sens, me confronte à des disproportions et des élargissements étourdissants auxquels mon cerveau, en s’y adaptant, devient plus « agile », plus performant ?
J’ai aussi l’impression d’échapper au monde des hommes tellement ordonné par les réponses qu’il a fournies pour mieux vivre en clan. Réponses qui peinent parfois à évoluer et chassent des pans entiers de la nature humaine dont nos prédispositions à vivre dans et avec la nature. Ce chemin vers notre programmation génétique initiale est donc un retour aux sources et un recentrage sur l’essentiel.
En redescendant du sommet du Weissmies, nous sommes arrivés dans une autre vallée moins champêtre. La présence de remontées mécaniques l’a quelque peu dé-naturé. Mais heureusement, les gardiens de la cabane du Weissmies ne l’ont pas déshumanisé… Bien au contraire…