#24-28 Pyramide Vincent 4215m, Corno Nero 4321m, Ludwigshöhe (4341m), Pointe Parrot (4432m), Pointe Gnifetti (4559m) – 10/07/2020
Dénivelé positif : 1562m
Refuge : Refuge Montova 3498m
Accès depuis Gressoney-la-Trinité
Première ascension : 1851 pour la Pyramide Vincent – Autres sommets non connus
Cotation F à PD Course glacière et arête mixte
Nous voilà revenus à Gressoney-la-Trinité que nous avions quitté cet hiver par très mauvais temps. Nous n’avions pu monter que jusqu’à la pointe Giordani en ski de randonnée et avions dû abandonner le projet de « cueillette » des sommets du Mont-Rose. Il s’agit bien de sommets très faciles d’accès et à la portée de tous. Aucune difficulté technique. Le seul vrai défi est de rester à plus de 4000m d’altitude et de dormir à 4559m puisque la pointe Gnifetti accueille le refuge Margherita où nous dormirons le soir dans l’espoir de faire une autre traversée le lendemain.
Nos deux nuits en bivouac à Helbroner que nous avons passées avant Montova ont créé un bon déficit de sommeil que nous n’avons pas manqué de combler en nous réveillant après tout le monde et en faisant la « grasse matinée de l’alpiniste » avec un réveil à 3h45 du matin. Un vrai luxe par rapport à nos précédentes ascensions.
Le refuge Montova est privé et confortable, l’équipe est souriante. Au petit-déjeuner, nous voyons arriver des alpinistes, baudriers déjà bien serrés à la taille et chaussures d’alpi aux pieds. Leurs guides suisses ont l’air de s’impatienter alors qu’ils viennent seulement d’arriver à leur table. Leurs clients me font presque de la peine de devoir avaler leurs biscottes en quelques secondes tout en buvant cul sec leur café tiède. Il faut dire que les alpinistes occasionnels ont un rapport à la nourriture particulier en montagne. Ils ne mangent pas parce qu’ils ont faim mais parce qu’ils ont peur d’avoir faim et de manquer de force, comme si leur vie en dépendait ; le fait de ne pas pouvoir disposer de distributeurs automatiques pendant une journée entière peut engendrer un réflexe de la marmotte ou de sur-stockage assez rapidement. Mais je ne peux pas me moquer car j’ai moi-même une conception de l’alimentation en montagne bien particulière et les kilomètres de dénivelés avalés jusqu’à présent n’y ont rien changé. J’aime « bien manger » en montagne : sentir un bon parmesan sur ma langue, un dip à l’huile de truffe, des sobas au guacamole, une bonne viande des grisons, du potimarron au paprika fumé… Je peux cuisiner des heures avant de partir plusieurs jours. J’aime préparer mes propres barres énergétiques, des mixtures savoureuses en tout genre avec des pains aux graines et aux épices. Et puis, par-dessus tout, j’aime choisir le chocolat que je dévorerai là-haut et qui me procurera un plaisir décuplé par l’effort et par la beauté du lieu qui m’entoure. Inutile de vous dire que c’est un bon marronnier entre Fred et moi. Fred, le minimaliste qui peut ne manger qu’une fois par jour et préfère porter peu. Il incarne dans sa pratique de la montagne des convictions fortes et un désir souverain de liberté. Cette dernière n’implique-t-elle pas un vrai détachement aux choses et à la gourmandise en particulier ? La liberté de mouvement ne devrait-elle pas primer à l’attachement au matériel qui rend si sédentaire et dépendant ?
Pourtant, vous dire que Fred est insensible au chocolat et que je suis la seule à manger à plus de 4000m d’altitude ne serait pas exact. Et même si nous pouvons encore avoir quelques discussions sur le poids que la nourriture pèse dans mon sac, 4mil82 pourrait presque devenir une aventure culinaire à part entière. Il faudrait pour cela que je me décide à écrire un livre des meilleures recettes pour la haute montagne, des recettes au rapport poids/énergie/plaisir imbattable !
Je serais bien incapable de vous dire ce que nous avons mangé ce jour-là mais je sais que nous avions une forme olympique et que nous avons bouclé notre journée en 3h30. Fred a pris des itinéraires différents des voies normales pour nous mettre à l’abris de la fréquentation estivale. Je me souviens particulièrement de cette marche silencieuse depuis le refuge. Je ne me posais aucune question, je n’étais personne. Seul mon corps avançait sur cette étendue de neige. J’écoutais le son de mes crampons prendre appui dans la neige encore croustillante. Mon corps se réveillait petit à petit, doucement, j’étais juste un corps consentant au bonheur que procure le mouvement.
Pas de vierge ou de croix au sommet de la Pyramide Vincent dont le sommet est difficile à matérialiser. Une autre cordée qui venait du refuge Gnifetti est arrivée en même temps que nous. De là-haut (4215m) nous apercevons un autre 4000 qui n’est pas répertorié dans le classement de l’UIAA. Il s’agit du Balmenhorn (4167m) où se dresse une très belle statue du « Christ des sommets » à côté du bivouac Felice Giordano. Ce christ est visible de loin et sert probablement de point de repère aux alpinistes. Nous ne résistons pas à la tentation d’aller le rejoindre. Un de plus ou de moins 😉 Nous poursuivons ensuite vers Corno Nero ou Schwarzhorn à 4322m. Pas d’exploit, mais à la lenteur relative des autres cordées, je commence à comprendre que nous sommes particulièrement bien acclimatés. Nous aurions pu faire cette course en trottinant. Fred donnera la main à la vierge qui veillait sur nous ce jour-là. Nous regardons Lyskamm devant nous. Une des plus belles arêtes de neige des Alpes que nous avons foulé l’été dernier. Nous repartons rapidement pour éviter un embouteillage qui commençait à se former derrière nous à cause d’une petite plaque de glace un peu plus technique à franchir. Et hop ! Sommet suivant : Ludwigshöhe à 4341m, sommet rond, sans envergure, sans grand intérêt. Nous nous demandons même pourquoi il fait partie de la liste des 4000m. Cela est presque décevant.
Nous enchaînons avec la pointe Parrot à 4432m. Joli arête en neige avec en toile de fond une mer de nuages qui recouvraient ce jour-là les célèbres lacs italiens. Je me sens ivre de sommets. Nous avons devant nous le point culminant du Massif du Mont Rose, la pointe Gnifetti ou le refuge Margherita que nous rejoindrons en prenant un beau mur de neige qui se trouvait entre la pointe Parrot et le refuge. Inutile de contourner ce mont. Nous nous lançons droit dans la pente bien raide et arrivons en même temps qu’un hélicoptère venu livrer denrées et matériel. La dépose se fait en quelques secondes. C’est très impressionnant de voir ces oiseaux métalliques apparaître et s’envoler presqu’aussitôt tel des robocopes volants.
Avant de rentrer dans cette cabane argentée, nous prenons le temps de nous réchauffer contre sa robe de taules un peu à l’abris de ce fichu vent qui nous a accompagné toute la journée. Ce dernier nous aura poussé à aller vite, à ne pas faire de pause. Il est 9h30. Les autres cordées n’arriveront que vers midi et « grâce » au COVID, elles ne seront pas très nombreuses ; les refuges ont dû réduire leur capacité d’accueil. Je suis assez enthousiaste à l’idée de dormir dans le plus haut refuge d’Europe. Fred me mentionne qu’il y a une pièce de dépressurisation en cas de Mal des Montagnes. Mais je ne peux pas dire que je sois sujette au MAM. Je n’en ai jamais ressenti les symptômes. Ni maux de tête, ni manque de sommeil, ni perte de l’appétit (vous l’aurez compris). Et pourtant, la nuit suivante, je ne trouverai pas le sommeil…