Grand Paradis – 4061m

Grand Paradis

Grand Paradis

Dénivelé positif : 2101m (approche 772m / sommet 1329m)
Refuge : Refuge Chabod – 2750m
Accès depuis Pont
Première ascension : 1860
Par la voie normale – Cotation F+, III – Marche d’approche classique

Année 2005 : lors d’un séminaire d’entreprise, j’encadrais un groupe de cadres d’entreprise, tous novices en montagne, sur la mer de glace. A cette époque, quelques vagues bleues déferlaient encore à l’aplomb des échelles qui donnaient accès au glacier depuis le Montenvers. Aujourd’hui, à cet endroit, ce n’est plus qu’un vaste pierrier.
Un évènement particulier survenu lors de cette journée aurait pu contribuer à l’inexistence de cette page. Nous traversions une zone mouvementée. Descendant au fond d’une crevasse, j’assurais un à un mes clients avec la corde que je tenais à la main. Pour l’un d’entre eux les consignes furent perçues différemment. Il s’agissait de désescalader vers le fond de la crevasse mais ce dernier a pensé qu’il descendait en rappel… 90 kg à bout de bras c’est lourd ; mon client glissa au fond du trou, et moi, déséquilibré, sautai pour aller le rejoindre. Jusque là tout allait bien.

Etalé au fond de la crevasse, monsieur X n’était pas blessé (état dont il aurait pu jouir s’il avait eu le temps de s’en rendre compte). Il y a des choix qu’une forme de pragmatisme de l’urgence impose. En lévitation 1m au-dessus du malheureux, armé des crampons Grivel dernier cri, « les sharks » 12 pointes, je m’interrogeais encore sur la pertinence de mes choix concernant le lieu d’atterrissage, comme un pilote d’A380 à court de carburant cherchant à limiter les conséquences de son crash.
Newton le savait tout autant que nous, et la gravité à cet instant résidait dans l’imminence de l’impact. Le pauvre l’avait compris, notre rencontre était inéluctable, les yeux plissés, les dents serrées il m’attendait. Finalement le mollet fut un bon choix ; douze pointes de 4 cm plantées à tout autre endroit sur le corps auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves. Délicatement, un sourire gêné, je retirais mon crampon, cherchant une excuse improbable à la situation.
Eric, le patron de la boîte, et Greg, son proche collaborateur, avaient assisté à la scène. Ils firent de moi leur guide pour leurs prochaines ascensions…

Novembre 2005, Eric, Greg et sa femme Jordane me retrouvent à Chamonix, notre projet : « Le Grand Paradis ». A cette époque de l’année, les refuges ne sont pas gardés. Mes compagnons ont plus l’habitude des hôtels confortables. J’aurais pu les prévenir quant à la rusticité de notre hébergement pour la nuit mais je considère que la découverte et les surprises sont des plaisirs essentiels que peut annihiler une description préalable excessive. Nous garons la voiture à Pont.

L’or des mélèzes fait pâlir le soleil radieux. La lumière d’automne à cet instant nous rappelle au nom de ces lieux, et la puissance divine qui inspira les premiers visiteurs, nous imprègnent et nous accompagnent jusqu’au refuge Victor Emanuel II. Le bâtiment principal est fermé, seul reste ouvert une vieille longère en pierres surplombant un petit lac.
En effet c’est rustique ! A l’intérieur, une dizaine de couchages superposés avec un espace très limité entre chaque, des couvertures de l’armée mitées, un poêle et une table pouvant accueillir quatre personnes éclairées avec les restes de trois bougies noircies. De vieilles menuiseries sont entassées devant le refuge. Nous en débitons une partie pour nous chauffer pendant la nuit. Souvent, quand j’accompagne des personnes en refuge d’hiver, en plus de mon rôle de guide, je me fais cuisinier – après quelques expériences similaires, Jordane prendra les devants et proposera assez spontanément de s’occuper de la logistique culinaire à chacune de nos sorties – On ne se connaissait pas encore très bien. Ils me poseront beaucoup de questions sur mon métier de guide, aucune sur mes talents de chef.

Après une nuit en pointillées et un petit déjeuner frugal, nous quittons le confort tout relatif de notre refuge. Un vent froid nous assaille, et c’est dans cette sombre ambiance hivernale, à la lueur blafarde de nos frontales, que nous dodelinons en rythme, raquettes aux pieds, la tête dans les épaules telle une petite équipe de manchots sur la banquise. Parvenus sur le glacier nous poursuivons en crampons. Le vent forcit à mesure que nous prenons de l’altitude. Eric, fatigué par ses voyages d’affaires et décalages horaires et qui n’a pas eu le temps de s’acclimater souffre de l’altitude. Vers 3800m, alors que les conditions deviennent très sévères, nous prenons la décision de faire demi- tour. Ainsi s’achève notre première tentative.

L’été suivant Greg et Jordane me sollicite pour une deuxième tentative. En période estivale, le Grand paradis est le sommet de 4000m le plus fréquenté. Nous passons cette fois-ci par le refuge Federico Chabod, ce dernier se trouvant sur un itinéraire plus tranquille. A nouveau un vent fort nous accompagne durant l’ascension. Au sommet nous devons contourner le dernier ressaut rocheux par la gauche pour pouvoir nous affranchir de la file d’attente et atteindre le sommet sous le regard amusé de la Vierge.