Rimpfishorn – 4199m

Dénivelé positif : 2882m (approche 1274m / sommet 1608m)
Refuge : Britanniahütte – 3030m
Accès depuis Saas Fee
Première ascension : 1859
Par la voie normale : Cotation PD+ – longue approche glaciaire et brève section mixte et technique finale

Dans la semaine qui a précédé cette ascension, nous avons eu une réponse positive de sponsoring de la marque Millet, spécialiste de l’équipement d’alpinisme, qui a accepté de nous fournir du matériel technique pour nos ascensions. En haute montagne, l’équipement n’est pas un détail, il est question de survie. Je me souviens tellement de mes premières expériences en montagne, pas ou peu équipée du tout. Je ne comprenais pas comment certains pouvaient endurer de telles sensations inconfortables (manque d’amplitude, de respirabilité, d’imperméabilité…) ; je prenais tous les montagnards pour des sur-hommes. J’ai rapidement compris que l’équipement faisait une grande différence dans le froid et l’effort long en altitude.

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Lors d’un tour des Annapurnas avec mon mari, je me souviens d’un ami qui aurait pu perdre tous ses orteils en passant simplement le col Thorong la en Himalaya avec des chaussures non adaptées. Il nous avait pourtant critiqué largement sur l’utilisation de membranes techniques qui lui paraissaient être une pure invention marketing. Bien sûr, lorsque nous avons dû le déchausser pour lui éviter des engelures à 5416m d’altitude, son discours avait quelque peu changé et il ne tardera pas à son retour à aller faire un tour au Vieux Campeur.

Avant de partir pour Saas Fee, nous avons récupéré des tenues complètes allant de la veste Gore Tex Pro au pantalon en passant par des doudounes, bonnet, sac à dos et vestes polaires. L’équipe Millet a fait son maximum pour nous équiper dès nos premières ascensions mais nous sommes partis sans avoir pu les tester. Ce jour-là, Fred m’a appelé pour m’annoncer que le Col des Montets était fermé et que je devais arriver le plus vite possible pour passer à 12h35 le tunnel de Vallorcine escortés par la gendarmerie. Après cela, nous ne pourrions plus rejoindre la Suisse. Ni une ni deux, j’ai mis les cartons de matériel dans le coffre et suis partie en trombe vers Chamonix. Une fois arrivée, pas le temps d’essayer quoique ce soit. Nous avons tout mis en vrac dans la voiture et pendant les premiers kilomètres nous énumérions tout ce que nous espérions avoir « bazardé » dans la voiture. Nous n’étions pas très tranquilles.

jordane-frederic-rimpfishorn–4199mL’arrivée sur le parking de Saas Fee a nécessité un peu de ménage. Nous avons étalé tout le matériel, essayé les pantalons et vestes, éléments essentiels de l’équipement. Nos premières sensations étaient bonnes. On est rapidement passés du stade sceptique au stade extatique comme des enfants au pied d’un sapin de Noël. Je passe un baudrier et peux rentrer ma veste dedans, ouf. Je fais quelques mouvements de crawl pour voir que la veste ne sortait pas du baudrier, double ouf. Je compte les poches, les ouvre facilement avec des gants. Leur taille est parfaite. La veste s’ouvre sous les bras. Le col peut remonter assez haut pour protéger une bonne partie du visage en cas de vent. J’attrape un casque et met la capuche de la veste par-dessus. Triple ouf ! Ca fonctionne ! Le pantalon est à la bonne taille et ajustable. Il est assez large en bas et assez robuste je pense pour résister à quelques coups de crampons maladroits. Nous sommes soulagés et impatients de tout tester dans de vraies conditions. Nous nous dirigeons vers l’hôtel d’un pas léger, presque danseur. Merci Millet !

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Arrivés à l’hôtel, nous savions que les remontées mécaniques allaient être fermées à cause du Covid 19. Cela ne nous impactait pas puisque nous n’avions pas prévu d’en prendre. Nous savions en revanche que cela allait en décourager plus d’un.
Le lendemain, nous sommes montés de 1274m sur des pistes désertées. Plus rien ne fonctionnait. Le silence était inhabituel. Nous avions l’impression d’avoir été plongés dans un film catastrophe où l’annonce d’un cyclone aurait fait fuir la population. C’est bien sûr la première fois de l’histoire de l’humanité que l’économie s’arrête à l’échelle mondiale pour protéger la vie. D’ailleurs, même les guerres n’ont pas tout arrêté de façon aussi brutale. Le refuge Britannia, belle bâtisse de pierres aux volets rouges et avec une terrasse splendide, devait être plein ce week-end-là. Il s’était vidé de moitié ; le gardien nous a réparti largement dans les différents dortoirs pour éviter toute promiscuité. Nous devions respecter un mètre entre chaque personne à table et plus si possible entre les cordées. Le refuge s’était presque transformé en hôtel de luxe !

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Nous sommes partis le lendemain au lever du soleil qui ne nous quitta pas de la journée; nous savions que les frontières étaient en train de se fermer, que nous ne retrouverions pas le monde comme nous l’avions laissé mais nous étions heureux d’être loin du tumulte ambiant.

Depuis le refuge, le Rimpfishorn se montre sous son flan est, plissé par plusieurs couloirs rocheux qui lui ont donné son nom (« rimpfen » : « plier »). On ne découvre le chemin jusqu’au sommet qu’après la longue traversée de l’Allalingletscher et l’Allalinpass qui s’est avéré être en glace. La course est assez longue et se termine par 200m d’arête rocheuse volcanique. La vue au sommet est absolument fantastique et permet d’admirer un très grand nombre de sommets de plus de 4000m d’altitude. La mer de nuage sur l’Italie ajoutait une touche féérique au paysage. Nous sortons téléphone, caméra pour immortaliser ce moment et surtout pour le partager avec le plus grand nombre. Le pouvoir de la photographie n’a pas de limite ! Il nous permet de figer ces moments d’intense bonheur. Mes enfants se souviennent en priorité des moments qu’ils ont pu revoir en photos et qu’ils mettent naturellement dans leur « time capsule » ou dans l’histoire de leur vie. Si l’on en critique l’usage excessif qui empêche quelque part de profiter du moment, je dois reconnaître que je ne pourrai faire sans aujourd’hui et sais que les photos que je prends restent rarement longtemps sans être ouvertes. Il m’arrive même parfois de les laisser volontairement fermées pendant un long moment pour avoir le plaisir de les re-découvrir. Je les trouve toujours plus incroyables avec le temps.
Nous ne profiterons pas assez du sommet comme toujours. Le sommet du Rimpfishorn n’est pas franchement confortable. Nous ne nous assiérons que très peu de temps avant de redescendre.
La descente sera un peu chaotique pour moi. Mes crampons ne sont pas adaptés à ce terrain rocheux et j’ai encore beaucoup à apprendre. Je sens Fred impatient derrière moi.