Allalinhorn – 4017m

Dénivelé positif : 1069m
Refuge : Britanniahütte 2894m
Accès depuis Saas Fee
Première ascension : 1860
Cotation : F Course glacière – arête mixte – Pente de neige à 30°

Si vous avez suivi nos pérégrinations depuis le début, vous avez peut-être noté que nous étions quasiment au sommet du Strahlhorn lorsque l’on a su que nous ne pourrions pas partir pour l’Allalinhorn et l’Alphubel le lendemain comme nous l’espérions à cause du confinement qui devait commencer 36h plus tard. Ces sommets et leur évocation ont laissé un goût amer dans mon esprit et un peu de confusion, comme si ces montagnes appartenaient à un autre monde. Imaginez deux parts de votre gâteau préféré que l’on met devant vos yeux pour mieux vous les enlever… Il faut dire qu’en tenant les remontées mécaniques le plus loin possible de nos options de déplacements, la montée à Brintannia hutte n’était pas complètement « rentabilisée » et méritait bien encore un ou deux sommets.

 

Nous sommes donc revenus assez vite à Saas Fee, là où nous en étions restés en mars comme pour mieux tourner la page de cet épisode étrange que personne n’avait pu prévoir et qui a paralysé la planète entière. Et pourtant, en montagne, on se prépare généralement à bien des scenarii ! Nous sommes habitués à « faire avec », à « composer autour de», « à attendre », à « être patients », « à imaginer des possibilités »… Il faut savoir évoluer avec des contours flous, des topos approximatifs, des routes non tracées et des itinéraires tordus. Mais nous ne sommes pas habitués à renoncer parce que d’autres l’ont décidé pour nous. Les seules limites que l’on supporte généralement sont celles imposées par la montagne et par notre corps. L’alpiniste est épris de liberté et n’aime pas se voir imposer quelques règles que ce soit.

La montagne est par excellence un espace de liberté qui implique une responsabilisation de l’individu qui se retrouve seul face aux conséquences de ses choix. Quel contraste avec nos vies régulées où l’ingérence de nos organes de représentation est omniprésente.

En évoluant dans cet environnement « sans filet », je déplace les limites que l’on m’a fixées et apprends à gérer mes peurs et démons. Cela me rend plus libre et plus forte et tellement heureuse. Comme un enfant qui finit par lâcher le bord de la piscine ou la main de ses parents pour constater qu’il flotte et qu’il peut avancer seul.

Nous n’avons fait qu’une bouchée de ce sommet peu technique mais qui nous a offert ce matin-là un des plus beaux levers de soleil que nous verrons sur les « roof tops » des Alpes. Lorsque le soleil a pointé son nez, je n’arrivais plus à marcher. A chaque pas il me fallait prendre une photo. Il fallait immortaliser ce moment qui ne serait plus. Car la montagne change de robe tous les jours et même plusieurs fois par jour. On ne parle pas de cinquante filtres qu’une application de retouche d’images pourrait offrir mais de millions de filtres, de millions de robes. Chaque jour, un sommet offre une carte postale en édition limitée. Il ne faut donc pas se priver de le contempler sans penser qu’on aurait pu prendre la même photo la veille ou que celle que vous prenez existe déjà dans bon nombre d’albums de montagnes.

Un jour, j’immobiliserai mon appareil photo pendant un an. Il sera pointé vers la vue que j’ai sur le Mont-Blanc depuis mon pied à terre aux Houches et je publierai les 365 robes qu’il nous aura montrées ; même si parfois, il enfile sa robe d’invisibilité pour que l’on ne se lasse pas de lui.

Au sommet, nous pensons à nos familles avec qui nous aimerions partager ce moment. Nous les imaginons dans leur quotidien mais surtout en train de se réveiller avec les millions de terriens qui ne tarderont pas entrer dans le ballet matinal tellement huilé les menant à l’école, au travail, dans une salle de sport ou dans des supermarchés.

Nous redescendrons avec les conducteurs des araignées qui oeuvraient sur les pistes de ski de Saas Fee pour tout remettre en ordre avant la réouverture des remontées mécaniques au public.