#17 Dent du Géant 4013m – Massif du Mont-Blanc – Voie normale
Dénivelé positif : 1030m
Refuge : Refuge Torino 3375m
Accès depuis Chamonix
Première ascension : 1882
Cotation : AD, III et IV – voie en rocher partiellement équipée de cordes fixes, approche en terrain mixte
Nous sommes redescendus de Weissmies Hütte depuis la Nadelgrat, traversée qui relie cinq sommets dans le massif de Mischabel. Nous avons choisi de nous reposer en allant faire un autre sommet, moins haut, et cette fois en escalade sur rocher. Les mouvements et l’effort ne sont pas les mêmes. Cela permet de se « déplier », de faire travailler des muscles différents tout en continuant à profiter de notre écrin préféré : la montagne.
Pourtant, nous avons le sentiment en partant pour le Jaginhorn que nous pourrions continuer sur notre route des 4000 tant nous nous sentons bien. Le rythme est pris. Nous sommes dans une bonne lancée. Fred a envie que l’on aille se frotter à un peu plus difficile, un peu plus technique. Nous partons donc pour le massif du Mont Blanc. Nous avons en tête les Aiguilles du Diable que nous aimerions faire après la Dent du Géant.
J’imagine que tous ces noms vous assomment un peu. Avant de les avoir gravis, je n’y voyais pas très clair. Trouver un topo qui ne soit pas soporifique et qui nous donne une bonne idée de ce qui nous attend est vraiment difficile pour des néophytes comme moi. Fred en revanche sait lire ces partitions de géographie et de géologie. Comme un musicien qui entend la musique en lisant seulement les notes et les soupirs, il peut se représenter un relief, un niveau d’enneigement et la géologie d’un lieu à partir d’une carte et d’un topo. Il passe des heures à consulter des topos d’escalade et d’alpinisme ; Il tourne le livre qu’il a dans les mains, marque plusieurs pages avec ses doigts et passe d’une page à l’autre pour les comparer, s’y référer. Il se donne le temps de l’hésitation, de la méditation.
Pour la Dent du Géant, pas de topo à consulter. Cela fait partie des grandes classiques pour les guides de Chamonix. Elle est sur la « skyline » de Chamonix et est un sommet facile à voir, à reconnaître et à convoiter dans le massif du Mont Blanc. Monolithe élégant que l’on voit notamment depuis les Aiguilles Rouges, sommet préféré de mon fils Félix, probablement parce qu’il peut le nommer sans se tromper. Il est tellement important de pouvoir nommer ce qui nous entoure ; Cratyle disait à Hermogène que « le nom dit la vérité de la chose ». Et même si ce nom peut être faible et ne pas faire le tour de la chose, il nous renseigne et nous permet de nous l’approprier, de le faire rentrer dans notre intimité. Nommer permet de créer un lien entre l’objet et l’individu ou entre des individus. Peut-on vraiment s’approprier une chose sans nom ?
Cette Dent du Géant nous emmène dans les histoires sublimes et enfantines de Gargantua, d’Alice au pays des merveilles, de la distorsion de la réalité, de l’agrandissement, de l’infiniment grand. Imaginer ce géant qui aurait perdu une dent sur un glacier m’a toujours amusé. Mais une fois nommée, la montagne n’est pas encore gravie…
La Dent du Géant n’est pas censée être longue ou difficile mais elle présente un inconvénient. Etant équipée de grosses cordes dans les passages plus techniques, elle attire les alpinistes débutants qui se jettent comme des malheureux sur ces cordes sans jamais chercher d’appuis sur leurs pieds. Cette posture les épuise rapidement au niveau de leurs bras peu entrainés. Même le premier pas dans la voie normale est difficile pour eux. C’est comme cela que cette très jolie face qui semble avoir été taillée au sabre est si souvent encombrée et embouteillée ! Des embouteillages en montagne ! Imaginez le ridicule de la situation !
Mais il nous faut les prendre avec philosophie. Nous nous installons sur une belle terrasse rocheuse ensoleillée au milieu de la voie et attendons que les cordées au-dessus de nous avancent.
Comme nous n’aurons que peu d’occasions de les doubler, c’est au sommet que nous allons tous les laisser sur place en faisant le passage le plus éclair que l’on puisse faire sur un sommet. Cela a ressemblé à un « touch and go ». Un pas au sommet et « top départ » pour la descente. Il fallait les laisser sur place pour ne pas devoir attendre derrière leurs interminables manipulations de cordes pour poser les rappels. Une cordée de frères italiens nous aura fait passer le temps. Ils étaient heureux d’être là, ils étaient drôles, ils étaient rafraichissants tout comme le vent qui s’était invité toute la journée.
La redescente fut rapide jusqu’au refuge Torino où l’ambiance est conviviale, à l’italienne et réunit des alpinistes débutants et chevronnés. Le bar est plus chaleureux que la salle de restaurant à laquelle on accède une fois l’apéritif terminé. Les topos ne manquent pas. Il y a même notre bible des 4000 (Le grand livre des 4000 – Editions Idea Montagna Editoria e Alpinismo – janvier 2019) de Marco Romelli et Valentino Ciridini qui documente l’ascension des quatre-vingt-deux sommets que nous voulons collectionner. L’occasion de parler de ce qu’il nous reste, de l’ordre dans lequel nous aimerions les gravir et de quelques pronostics pour l’été. Mais il y a une tâche sombre au tableau… la météo des prochains jours n’est pas fantastique et surtout incertaine. Ces bulletins météo animent souvent nos soirées et influencent terriblement notre humeur. Fred n’est jamais catégorique devant un mauvais bulletin météo et attache une importance capitale aux vents. Ils les nomment, a besoin de savoir d’où ils viennent, s’ils seront violents, dociles ou juste rafraîchissants. Il fait souvent les cent pas comme pour conjurer un mauvais sort et se rapproche très souvent des fenêtres pour capter un filet de réseau et rafraîchir les prévisions sur son téléphone.
Nous devrons attendre quelques jours pour nous attaquer aux Aiguilles du Diable. Mais que cachent-elles derrière leur nom ? Sont-elles aussi effrayantes que leur nom le laisse présager ?