La Dent Blanche – 4357m

Dénivelé positif : 2882m (approche 1523m / sommet 850m)
Refuge : Cabane de la Dent Blanche – 3507m
Accès depuis Ferpècle
Première ascension : 1862
Par l’arête Sud : Cotation AD, II et III – longue arête principalement rocheuse

Des vagues invisibles froides et limpides charrient les effluves automnales d’herbes sèches, de mélèzes jaunis, de roches broyées, de boucs en rut. Nous portons tous en nous, montagnards, le souvenir de ces odeurs de fin d’été, qui impriment dans nos esprits le décor sensoriel d’une expérience vécue. Il suffit alors, dans un tout autre contexte, qu’un parfum reconnu vous transporte là où ce dernier s’est figé en image. Plus encore aujourd’hui je me souviens des parfums de ce jour à travers lesquels les images me reviennent…

Ça doit être long, tous les topos en parlent : 1680m du parking au refuge de la Dent Blanche. C’est prétendre alors que l’exercice est ennuyeux, que seul le refuge et le sommet sont dignes d’intérêt mais il n’en fut rien. Un raide sentier, trait d’union entre deux mondes, serpente dans les herbes hautes jusqu’à l’ancienne cabane de Bricola. Ici l’opéra qui se jouait en sourdine explose en lumière. Le rideau s’ouvre sur un splendide univers arctique que le glacier de Ferpècles draine en de multiples ressauts vers les chaudes moraines. Nous nous y arrêtons… silence, douceur puis repartons.
Le sentier bien marqué au départ s’efface peu à peu. Il avait conduit jusqu’ici de nombreux amateurs de paysages sublimes. A présent, discret, disparaissant le long des moraines éboulées, il va de cairns en cairns proposant plus qu’il ne l’impose un chemin à ceux qui le cherchent.

Le lac des Manzettes. Nous faisons une halte. Déjeunons. La Dent Blanche nous écrase de toute sa puissance. Elle est la raison de notre venue. Mais, finalement, au regard des plaisirs rencontrés, elle gardera son rang de prétexte. Non ! Cette balade n’est pas trop longue !

Nous nous délectons de tout. De l’effort, du soleil, du sentier qui se cache, des paysages sublimes, ou d’être simplement là, invisibles dans cette grandeur préservée. L’arête du roc noir, de blocs en rochers, nous conduit aux abords d’une langue de glace fatiguée. Nous la traversons, puis quelques rochers nous mènent sur le Perron du refuge. Déjà ! Non cette balade n’était pas trop longue !

C’est une vieille cabane en pierre affublée d’une extension métallique. Même si cette verrue nous permet un confort inespéré à cette altitude, il n’en demeure pas moins que le bon sens architectural aurait pu respecter la conscience esthétique de nos anciens…
Il est 17h00 des cordées arrivent encore du sommet… Finalement nous serons à peine 20 à dormir au refuge ce soir.

Le repas.
Pour tout vous dire Jordane me trouve peu loquace. Eh bien je remercie le guide suisse assis en face d’elle d’avoir changé mon statut de « taiseux invétéré» en archétype du guide jovial et souriant et dont l’éloquence ravirait une tablée d’italiens.
Bref nous apprendrons de son client, beaucoup plus avenant qu’ils souhaitaient réaliser tous les sommets suisses de plus de 4000m.

Une étincelle de plus …
Le lendemain à la lueur des frontales nous abordons l’éperon rocheux sur lequel repose le refuge. Deux petits glaciers au début de l’arête nous imposent de mettre des crampons, puis légers et en pleine forme, équipés de chaussures légères, nous gagnons le sommet en 3h30 depuis le refuge.
Une croix métallique, quelques photos, un regard vers les prochains objectifs et nous reprenons l’arête dans l’autre sens. Nous sommes de retour au refuge vers 10h30, environ 5h00 pour l’aller-retour.
Encore une belle descente pour jouir de ce monde unique que, de ressauts en ressauts, d’une pensée à une autre, des images plein la tête, nous quittons avec regrets. Même si nos paroles n‘ont pas trouvé leur envol, elles demeurent en nous pour parler en silence.
Il serait prétentieux de prétendre pouvoir lire dans les pensées de celui ou de celle qui nous accompagne, mais les pas, la respiration, les sourires, les attitudes sont des mots qui ne mentent pas.

Nous savons que les bonheurs que nous laissons derrière nous, n’auront d’équivalent que ceux que nous réservent les prochains sommets.
C’est ainsi que je me permets de parler de nous et des cordées en général qui ressentent une certaine complicité lorsque les mêmes émotions et sentiments sont partagés.
Foutue descente… nous voudrions repartir à nouveau sur d’autres sommets.
A l’approche du parking nous retrouvons le guide Suisse à qui cette longue descente semble avoir délié la langue. Lui et son client n’ont pas de voiture, nous les déposerons à la gare de Sion.

Grand Paradis – 4061m

Grand Paradis

Grand Paradis

Dénivelé positif : 2101m (approche 772m / sommet 1329m)
Refuge : Refuge Chabod – 2750m
Accès depuis Pont
Première ascension : 1860
Par la voie normale – Cotation F+, III – Marche d’approche classique

Année 2005 : lors d’un séminaire d’entreprise, j’encadrais un groupe de cadres d’entreprise, tous novices en montagne, sur la mer de glace. A cette époque, quelques vagues bleues déferlaient encore à l’aplomb des échelles qui donnaient accès au glacier depuis le Montenvers. Aujourd’hui, à cet endroit, ce n’est plus qu’un vaste pierrier.
Un évènement particulier survenu lors de cette journée aurait pu contribuer à l’inexistence de cette page. Nous traversions une zone mouvementée. Descendant au fond d’une crevasse, j’assurais un à un mes clients avec la corde que je tenais à la main. Pour l’un d’entre eux les consignes furent perçues différemment. Il s’agissait de désescalader vers le fond de la crevasse mais ce dernier a pensé qu’il descendait en rappel… 90 kg à bout de bras c’est lourd ; mon client glissa au fond du trou, et moi, déséquilibré, sautai pour aller le rejoindre. Jusque là tout allait bien.

Etalé au fond de la crevasse, monsieur X n’était pas blessé (état dont il aurait pu jouir s’il avait eu le temps de s’en rendre compte). Il y a des choix qu’une forme de pragmatisme de l’urgence impose. En lévitation 1m au-dessus du malheureux, armé des crampons Grivel dernier cri, « les sharks » 12 pointes, je m’interrogeais encore sur la pertinence de mes choix concernant le lieu d’atterrissage, comme un pilote d’A380 à court de carburant cherchant à limiter les conséquences de son crash.
Newton le savait tout autant que nous, et la gravité à cet instant résidait dans l’imminence de l’impact. Le pauvre l’avait compris, notre rencontre était inéluctable, les yeux plissés, les dents serrées il m’attendait. Finalement le mollet fut un bon choix ; douze pointes de 4 cm plantées à tout autre endroit sur le corps auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves. Délicatement, un sourire gêné, je retirais mon crampon, cherchant une excuse improbable à la situation.
Eric, le patron de la boîte, et Greg, son proche collaborateur, avaient assisté à la scène. Ils firent de moi leur guide pour leurs prochaines ascensions…

Novembre 2005, Eric, Greg et sa femme Jordane me retrouvent à Chamonix, notre projet : « Le Grand Paradis ». A cette époque de l’année, les refuges ne sont pas gardés. Mes compagnons ont plus l’habitude des hôtels confortables. J’aurais pu les prévenir quant à la rusticité de notre hébergement pour la nuit mais je considère que la découverte et les surprises sont des plaisirs essentiels que peut annihiler une description préalable excessive. Nous garons la voiture à Pont.

L’or des mélèzes fait pâlir le soleil radieux. La lumière d’automne à cet instant nous rappelle au nom de ces lieux, et la puissance divine qui inspira les premiers visiteurs, nous imprègnent et nous accompagnent jusqu’au refuge Victor Emanuel II. Le bâtiment principal est fermé, seul reste ouvert une vieille longère en pierres surplombant un petit lac.
En effet c’est rustique ! A l’intérieur, une dizaine de couchages superposés avec un espace très limité entre chaque, des couvertures de l’armée mitées, un poêle et une table pouvant accueillir quatre personnes éclairées avec les restes de trois bougies noircies. De vieilles menuiseries sont entassées devant le refuge. Nous en débitons une partie pour nous chauffer pendant la nuit. Souvent, quand j’accompagne des personnes en refuge d’hiver, en plus de mon rôle de guide, je me fais cuisinier – après quelques expériences similaires, Jordane prendra les devants et proposera assez spontanément de s’occuper de la logistique culinaire à chacune de nos sorties – On ne se connaissait pas encore très bien. Ils me poseront beaucoup de questions sur mon métier de guide, aucune sur mes talents de chef.

Après une nuit en pointillées et un petit déjeuner frugal, nous quittons le confort tout relatif de notre refuge. Un vent froid nous assaille, et c’est dans cette sombre ambiance hivernale, à la lueur blafarde de nos frontales, que nous dodelinons en rythme, raquettes aux pieds, la tête dans les épaules telle une petite équipe de manchots sur la banquise. Parvenus sur le glacier nous poursuivons en crampons. Le vent forcit à mesure que nous prenons de l’altitude. Eric, fatigué par ses voyages d’affaires et décalages horaires et qui n’a pas eu le temps de s’acclimater souffre de l’altitude. Vers 3800m, alors que les conditions deviennent très sévères, nous prenons la décision de faire demi- tour. Ainsi s’achève notre première tentative.

L’été suivant Greg et Jordane me sollicite pour une deuxième tentative. En période estivale, le Grand paradis est le sommet de 4000m le plus fréquenté. Nous passons cette fois-ci par le refuge Federico Chabod, ce dernier se trouvant sur un itinéraire plus tranquille. A nouveau un vent fort nous accompagne durant l’ascension. Au sommet nous devons contourner le dernier ressaut rocheux par la gauche pour pouvoir nous affranchir de la file d’attente et atteindre le sommet sous le regard amusé de la Vierge.